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L’émigration des Basques et des Béarnais en Amérique du Sud.

Immigrants européens arrivant en Argentine, 19e siècle. Source : Wikipedia

Dès le début du XIXe siècle, les républiques sud-américaines nouvellement constituées adoptent une politique de peuplement par l’immigration. Les Basques sont les premiers à répondre à l’appel, suivis de près par les Béarnais.

Comme évoqué dans un article précédent sur l’émigration des Basques et des Béarnais en Amérique, les pyrénéens sont un peuple qui voyage. Hommes et femmes n’hésitent pas à franchir les frontières pour chercher un avenir meilleur.

Les pays concernés

L’Uruguay et l’Argentine

L’Argentine devient officiellement indépendante le 9 juillet 1816 et l’Uruguay le 27 août 1828.  

Ainsi, dès les années 1830, les Basques et les Béarnais s’installent dans la région du Rio de la Plata. Ils se regroupent à Buenos Aires, sur la rive argentine du fleuve, et à Montevideo sur la rive uruguayenne. 

L’émigration vers l’Argentine s’accélère dès 1852, à la chute du dictateur Juan Manuel de Rosas. Cette année, 2800 personnes voyagent du port de Bayonne vers Buenos Aires.

A partir de cette date, le gouvernement argentin vote des lois pour encourager et réglementer l’immigration.

Dès 1853, la nouvelle constitution établit l’équité des droits civils entre citoyens et étrangers. Un an plus tard, est créée la commission d’immigration dont le rôle est d’aider les migrants à régler d’éventuels différends avec leur employeur ou leur agent d’émigration.

Le rôle de Samuel Lafone

Samuel Lafone est un Britannique d’origine française. Il arrive à Buenos Aires en 1825 et investit dans les mines et dans les terres aussi bien en Argentine qu’en Uruguay.

Confronté au manque de main d’œuvre, il s’arrange avec le gouvernement uruguayen pour faire venir des migrants britanniques, canariens et basques. En contrepartie, il reçoit une prime de la part du gouvernement. 

Pour l’aider dans sa tâche, Samuel Lafone recrute un français de Buenos Aires, Alfred Bellemare. Celui-ci arrive à Bayonne en 1835 et a pour mission de recruter sur place de nouveaux candidats à l’émigration.   Ainsi Samuel Lafone et Alfred Bellemare sont les précurseurs des agents d’émigration qui peu à peu vont se multiplier sur le territoire des Pyrénées-Atlantiques.

Le Chili

Vers 1840, les Basque et les Béarnais commencent à se tourner vers le Chili où la conquête récente des terres des indiens d’Araucanie offre des perspectives de travail. Le gouvernement chilien, qui compte y développer une activité agricole, encourage fortement l’immigration. 

Cependant ce mouvement vers le Chili est bien moins important que celui vers l’Argentine. 

Parmi les Basques et les Béarnais qui partent pour le Chili, quelques-uns cultivent le blé dans le sud du pays, mais la majorité se lance plutôt dans le commerce.

Le voyage

Après une traversée en bateau à voile ou à vapeur, généralement au départ de Bordeaux, les migrants arrivent soit à Montevideo soit à Buenos Aires.

Au temps des bateaux à voile, la traversée pouvait durer de un à trois mois. L’arrivée des bateaux à vapeur à partir de 1850 fait passer la durée du voyage à une vingtaine de jours.

Conditions de vie sur les paquebots

Les paquebots peuvent transporter plusieurs centaines de passagers. Certains pouvant même aller jusqu’à 2000 personnes.

Les passagers sont séparés en plusieurs classes. Quelques-un voyagent dans le luxe de la première classe alors que la majorité s’entasse sur l’entrepont, réservé à la troisième classe. C’est là que se trouvent le plus gros des migrants.

Un confort rudimentaire

Alors que les voyageurs de première classe disposent de cabines confortables, les passagers de troisième classe se partagent des dortoirs non mixtes. Seuls les jeunes garçons sont autorisés à dormir avec leur mère dans le dortoir réservé aux femmes.

La traversée est souvent une aventure à elle seule. La plupart des passagers voyageant pour la première fois doivent subir le mal de mer et les tempêtes qui rendent le voyage particulièrement inconfortable si ce n’est effrayant.

Entassés dans des dortoirs mal aérés, et dans des conditions d’hygiène précaires, les voyageurs sont confrontés aux épidémies. Ainsi, les décès à bord sont fréquents. 

La nourriture y est également discutable même si les compagnies maritimes s’efforcent de plus en plus d’offrir des repas de qualité et en quantité suffisante. Les gouvernements des pays de destination considèrent les migrants comme une future main-d’œuvre précieuse. Il s’agit donc de les faire arriver en bonne santé. 

Activités à bord

La traversée est également l’occasion de passer de bons moments avec les membres de l’équipage, notamment lors du passage de l’équateur. Les matelots se déguisent et offrent une cérémonie de baptême à tous ceux qui se trouvent dans l’hémisphère Sud pour la première fois.

Les fêtes spontanées pendant lesquelles les passagers se rassemblent sur le pont pour danser au son d’un orchestre improvisé ne sont pas rares non plus.

Enfin, le voyage se passe généralement dans une ambiance plutôt légère et joyeuse malgré les conditions parfois extrêmes de la traversée.

Immigrant prenant leur repas sur le pont avant de débarquer à Buenos Aires. (Source : educ.ar portal : https://www.educ.ar/recursos/84493/la-inmigracion-en-la-argentina)

L’arrivée

Même si l’Argentine devient la destination principale des émigrants basco-béarnais grâce à la politique de peuplement par l’immigration lancée dès la chute du dictateur Rosas en 1852, la ville de Buenos Aires ne dispose pas de port capable d’accueillir les paquebots jusqu’à la fin du 19e siècle. Les passagers doivent débarquer en mer et rejoindre la terre ferme à l’aide de barques et de charrettes. De nombreux voyageurs préfèrent donc débarquer au port de Montevideo et traverser le Rio de la Plata pour rejoindre l’Argentine par la suite.

Devant l’affluence des immigrés venus de toute l’Europe, les établissements d’accueil existants arrivent rapidement à saturation.

Plusieurs colonies d’immigrants se créent dans différentes régions. Pour les français, il faut citer celle de Pigüe dans la province de Buenos Aires et celle de San José.

Pour répondre au besoin toujours croissant des immigrés, plusieurs hôtels sont construits de manière successive à Buenos Aires en 1880, 1888 et 1911. 

Ce dernier, baptisé Hotel de los inmigrantes de Buenos Aires, est conçu à proximité du quai de débarquement du port construit en 1898.

Après une visite médicale à bord du bateau, les migrants sont conduits dans cet hôtel où ils sont logés et nourris le temps de trouver un emploi.

Arrivée des immigrants à l’hôtel des immigrants. (Source educ.ar portal : https://www.educ.ar/recursos/84493/la-inmigracion-en-la-argentina)

Les conditions de vie en Amérique du sud

Dans les années 1830, la région du Rio de la Plata est peuplée uniquement sur la côte car il n’existe encore que très peu d’infrastructures à l’intérieur des terres.

En Argentine, la pampa est la zone privilégiée des estancias (ranches) dans lesquelles travaillent des gauchos (la version sud américaine du cow boy). Le travail des gauchos est de gérer de gigantesques troupeaux de bétail destinés à l’industrie de la viande séchée. Les usines de salaison (saladeros) sont situées dans la zone côtière du pays ainsi que le long des rivières.

Jusqu’en 1850, l’industrie de l’estancia / saladero est la force principale de l’économie argentine. Cependant, c’est un milieu très fermé, aux mains de quelques riches propriétaires qui emploient peu d’étrangers.

C’est à cette époque que commence à se développer l’élevage ovin. 

Grâce à la présence du bétail, les terres arides de la pampa deviennent de plus en plus fertiles et de nouvelles plantes apparaissent. Ces plantes constituent une nourriture qualitative pour les moutons.

Les immigrés basques et irlandais dominent l’industrie ovine, déjà présente dans les années 1830. La présence de plus en plus forte de l’élevage ovin pousse les élevages bovins à aller plus loin vers l’intérieur des terres provoquant des conflits entre estancieros et bergers.

Troupeau de moutons dans la pampa argentine (source : Delcampe)

Quels métiers ?

L’élevage

Les Basques sont particulièrement reconnus pour leur savoir-faire en tant que bergers. C’est d’ailleurs dans le but d’exercer cette activité que Samuel Lafone les recrute dès les années 1830.

Ils commencent par travailler pour d’autres éleveurs de moutons avant d’acheter leur propre cheptel dès qu’ils en ont les moyens.

Les lecherias

D’autres se spécialisent dans le métier de laitier, notamment dans la région de Buenos Aires. Ils élèvent vaches et moutons pour leur lait et chaque matin, ils vont vendre en ville lait, beurre et fromages.

Repartidor de leche, 1874 (source : Archivo General de la Nación, fondo Witcomb)

Les saladeros

De nombreux Basques travaillent dans des usines de salaison. Ils détiennent le quasi monopole de cette activité aussi bien en Argentine qu’en Uruguay. Il s’agissait d’une activité très difficile physiquement.

L’agriculture

Les Basques et les Béarnais sont également très présents dans L’agriculture.

Les métiers du bâtiment

L’augmentation rapide de la population dans les villes entraîne des besoins en maçons, ferrailleurs et charpentiers. Les Basques sont particulièrement présents dans l’industrie de fabrication des briques.

Le commerce et la restauration

Le commerce et la restauration sont également des domaines qui recrutent beaucoup de Pyrénéens.

De plus, de nombreux basques originaires des provinces côtières du Labourd et de Gipuzkoa travaillent comme dockers dans les ports de Buenos Aires et de Montevideo.

La communauté San José

Dès 1854, la congrégation des Betharramites s’inquiète de l’absence de religieux parmi les pyrénéens vivant dans la pampa argentine.

En 1856, le président Urquiza, lui-même d’ascendance basque, autorise la congrégation à envoyer des prêtres missionnaires.

Le premier contingent se compose de 8 prêtres. En moins de 5 ans, les religieux créent 30 missions à travers l’Argentine et l’Uruguay.

Leur première action est de fonder le collège San José à Buenos Aires.

Alexis Peyret

Alexis Peyret (Source : Escola Gaston Febus)

Né à Serre Castet le 11 décembre 1826, il est le fils d’Alexis Augustin Peyret et de Cécile Angélique Vignancour. 

Après des études de droit à Paris, où il embrasse les idées républicaines, il se présente à la députation des Basses-Pyrénées en 1852. Après l’élection de Napoléon III, il est contraint de s’exiler.

Arrivé en Uruguay, à Concepción del Uruguay, province d’Entre Rios, il enseigne comme professeur de français. 

En 1857, il devient le premier directeur de la Colonia San José chargée d’accueillir les migrants français et suisses francophones.

Alexis Peyret développe la colonie en restant fidèle à ses idées politiques. Il crée un pensionnat coopératif pour les plus pauvres et crée une bibliothèque populaire. Il crée également une coopérative agricole et la Sociedad de socorros mutuos.

A l’occasion de l’Exposition Universelle de Paris en 1889, il représente l’Argentine. Il passe deux ans en France d’où il travaille à favoriser l’émigration des Français vers l’Argentine.

Le déclin de l’intérêt pour l’Amérique du Sud

A la fin du 19e siècle, les saladeros, qui étaient la principale source d’emploi pour les nouveaux arrivants basques, sont remplacés petit à petit par des usines de congélation de la viande.

De la même manière, l’industrie laitière, qui employait également de nombreux immigrés Basques et Béarnais, passe aux mains de grandes coopératives, réduisant les possibilités d’emploi.

Ainsi, même si l’Argentine reste dynamique et en plein développement économique, elle devient moins attractive pour les Basques et les Béarnais.

Ceux-ci peuvent encore trouver du travail en tant qu’employés mais les possibilités d’entrepreneuriat ont chuté.

Le tournant de la première Guerre Mondiale

Cependant, c’est la première Guerre Mondiale qui marque le véritable déclin de l’émigration vers l’Amérique du Sud.

Dès les années 1920, toutes les terres agricoles sont occupées et leur prix atteint des montants que les nouveaux arrivants ne peuvent pas acheter.

C’est également à cette époque que commence la mécanisation de l’agriculture entraînant une baisse du besoin de main d’œuvre dans les exploitations agricoles.

L’augmentation du nationalisme et de la xénophobie en Argentine et au Chili entraîne des politiques plus restrictives vis-à-vis de l’immigration. Les gouvernements de ces pays instaurent des lois anti-immigration dès les années 1930. 

Pour toutes ces raisons, les jeunes candidats à l’émigration depuis le département des Pyrénées-Atlantique préfèrent se tourner vers la Californie qui regorge de terres encore inexploitées sur lesquelles ils pourraient développer une activité pastorale.


Sources : 

Association Mémoire de l’Emigration, Partir, n°25-26, septembre 2022. 

DOUGLAS, William A., BILBAO, Jon, Amerikanuak : Basques in the new world. Reno : University of Nevada press, 2005. (The Basque series)

Escola Gaston Febus, Alexis Peyret, bâtisseur d’un nouveau monde. Disponible sur : https://escolagastonfebus.com/gascons-de-renom/alexis-peyret-batisseur-dun-nouveau-monde/ 

Institut Culturel Basque, L’Argentine des Basques. Disponible sur https://www.eke.eus/fr/culture-basque/pays-basque/diaspora-basque-la-huitieme-province/largentine-des-basques 

TAUZIN-CASTELLANOS, Isabelle, CUBURU-ITHOROTZ Beñat, L’émigration basque et béarnaise en Amérique : histoires familiales en construction. Morlaàs : Editions Cairn, 2023.

TAUZIN-CASTELLANOS, Isabelle (dir.). De l’émigration en Amérique latine à la crise migratoire : histoire oubliée de la Nouvelle-Aquitaine XIXe-XXIe siècle. Morlaàs : Editions Cairn, 2021. 

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