Longtemps oublié et encore méconnu, le camp de Gurs, situé dans les Pyrénées-Atlantiques, est pourtant l’un des plus grands camps d’internement et de déportation que le gouvernement français a mis en place et exploité de 1939 à 1945.
J’ai grandi dans les Pyrénées-Atlantiques. Ni à l’école, ni au collège, ni au lycée je n’ai entendu parler du camp de Gurs. Ou alors très rapidement, anecdotiquement, comme quelque chose de lointain qui de toute façon n’existe plus.
Je ne l’ai découvert que plus tard, lorsque, étudiante en histoire de l’art, je me suis penchée sur le patrimoine, et donc, l’histoire locale.
Je l’ai également fait découvrir à ma mère, qui a pourtant toujours vécu dans les Pyrénées-Atlantiques mais n’avait jamais entendu parler du camp de Gurs.
Le silence de l’après-guerre avait bien fait son travail. A mon échelle, j’essaie aujourd’hui de partager un peu de cette histoire oubliée, que nos ancêtres pyrénéens, espagnols, juifs, allemands ont sans aucun doute vécu de plus ou moins près.
Construction du camp de Gurs
Contexte historique : la Retirada
Dès juillet 1936, la guerre civile éclate en Espagne opposant républicains et nationalistes, menés par le général Franco.
La prise de Barcelone par les Franquistes le 26 janvier 1939 marque la défaite des républicains.
Ceux-ci fuient massivement le pays, c’est la Retirada. 500000 Espagnols passent la frontière des Pyrénées en seulement quelques mois.
Le gouvernement français, méfiant à l’égard de cette immigration massive, fait construire des camps visant à interner les réfugiés. Le camp de Gurs fait partie de ce dispositif.
Caractéristiques du camp de Gurs
Situé dans un petit village près d’Oloron Sainte-Marie, au Sud-Ouest de Pau, le camp est construit en 42 jours en mars-avril 1939.
Il s’étend sur une surface de 79 hectares et peut accueillir jusqu’à 18500 personnes.
Il se compose de 13 îlots de 30 baraques, chacun disposé de part et d’autre d’une allée centrale longue de 2 km.
Des barbelés ceinturent chaque îlot ainsi que le camp lui-même.
Architecture et organisation du camp de Gurs
Les baraques sont construites en bois selon le type « Adrian » inventé pendant la Première Guerre mondiale. Ce modèle, composé d’une ossature de fermes obliques, présente une bonne résistance au vent. Chaque baraque mesure 24 mètres de long et 6m de large en partie inférieure, pour 2,50 mètres de hauteur.
Les fermes obliques sont espacées de 70 centimètres, correspondant à l’espace réservé pour chaque interné. Les baraques pouvaient contenir jusqu’à 60 personnes.
De simples lucarnes non vitrées équipées d’un volet en bois font office de fenêtres. En hiver, les internés doivent garder les volets fermés afin de garder un peu de chaleur à l’intérieur des baraques.
Le camp n’était pas conçu pour rester plus d’un an et pourtant il n’a cessé de fonctionner pendant 6 ans.
Les conditions de vie
Situé sur un plateau au pied des Pyrénées, sur un terrain argileux et mal drainé, le climat pluvieux du piémont pyrénéen transforme régulièrement le camp en véritable bourbier. Les internés vivent dans la boue de l’automne au printemps.
Cette humidité est également responsable du pourrissement des baraques et de la prolifération des rats.
L’alimentation est peu abondante et de mauvaise qualité. Le marché noir se met rapidement en place, favorisé par les gardiens du camp. Les internés payent avec le peu qu’il leur reste.
La population du camp de Gurs
Les réfugiés espagnols
Dès avril 1939, les premiers républicains arrivent au camp.
Dans un contexte de montée des fascismes en Europe, le gouvernement français voit cet afflux de réfugiés comme une menace. D’abord prévu pour être un centre d’accueil, le camp de Gurs devient un véritable camp d’internement et les réfugiés sont assimilés à des prisonniers.
Au total, 24530 combattants de l’armée républicaine espagnol sont internés au camp en 1939. Ils se répartissent dans les différents îlots en fonction de quatre groupes : les Basques, les aviateurs, les volontaires des brigades internationales et les Espagnols venant d’autres provinces que le Pays Basque.
Une bonne partie de ces hommes quitte le camp aux alentours du mois de septembre 1939.
Ils sont soit rapatriés, soit placés dans les entreprises ou exploitations de la région, soit incorporés dans les Compagnies de Travailleurs Espagnols (CTE), soit ils s’engagent dans les Bataillons de Marche pour combattre auprès de l’armée française.
L’amicale du camp de Gurs a collecté de nombreux témoignage des anciens internés du camp et les a mis en ligne sur son site.
Eté 1940 : Les indésirables
Depuis l’arrivée d’Hitler au pouvoir, de nombreux juifs allemands, polonais ou autrichiens ainsi que des opposants politiques trouvent refuge en France, notamment à Paris.
En mai 1940, la Wehrmacht attaque la Belgique et le Nord de la France, poussant le gouvernement militaire français à rassembler les ressortissants de « pays ennemis » dans les stades parisiens. Les femmes, majoritairement Allemandes, sont envoyées à Gurs avec des communistes français placés en détention préventive dans la prison de la Santé.
Au mois de mai 1940, 3695 républicains espagnols et brigadistes internationaux peuplent encore le camp. Le 21 mai, 9771 femmes viennent grossir les effectifs du camp. Les 1329 prisonniers communistes français arrivent le 21 juin.
Parmi les femmes arrivées à Gurs, figurent des noms célèbres comme la philosophe Hannah Arendt, l’écrivaine Hanna Schramm ou encore l’actrice Dita Parlo. De nombreux témoignages des internés de cette période sont à lire sur le site du camp de Gurs.
En juin 1940, Philippe Pétain signe l’armistice.
Le camp de Gurs est en zone libre. Son directeur, le commandant Dauvergne fait brûler les listes des internés le 24 juin et ouvre le camp laissant partir ceux qui le souhaitent.
Ne sachant où aller et se croyant en sécurité au pied des Pyrénées, si loin de l’Allemagne, de nombreuses femmes internées en mai décident de rester au camp. Elles ne savent pas encore le piège qui les attend.
1940-1943 : l’internement des juifs
La collaboration entre le gouvernement de Vichy et le Reich se met en place pendant l’été 1940.
Le 24 octobre, un premier convoi de familles juives allemandes du Pays-de-Bade, de la Sarre et du Palatinat arrive au camp de Gurs. Ils sont 6538 parmi lesquels environ 800 meurent au cours des semaines suivantes dans un camp déjà bien délabré.
7010 autres juifs transférés depuis d’autres camps du Sud de la France ainsi que les victimes des rafles et des opérations de police rejoignent ce premier convoit.
Au total, le camp voit passer 18185 internés entre le 24 octobre 1940 et le 1er novembre 1943.
Les déportations
Le plan d’extermination que les nazis ont baptisé « la solution finale de la question juive » débute en France au cours des mois de juin et juillet 1942.
A Gurs, il consiste en 6 convois de déportation les 6, 8, 24 août et 1er septembre 1942, puis les 27 février et 3 mars 1943. Au total 3907 hommes, femmes et adolescents sont envoyés d’abord au camp de Drancy, puis au camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau.
Les autres internés sont, quant à eux, transférés dans d’autres camps français d’où ils sont, à leur tour, envoyés à Drancy puis Auschwitz.
La fin du camp de Gurs
Les derniers internés
Il ne reste plus qu’une centaine d’internés à l’été 1943. En septembre, deux groupes de maquisards de l’Armée Secrète réussissent à neutraliser les gardiens et emportent les armes entreposées à l’armurerie du camp.
Le ministre de l’intérieur décide alors la dissolution du camp le 1er novembre 1943.
Cependant, en 1944, un groupe de Gitans en provenance du camp de Salier dans les Bouches-du-Rhône ainsi qu’une centaine de femmes transférées depuis le camp de Brens dans le Tarn, arrivent au camp de Gurs. Ces dernières, stupéfaites devant l’état de délabrement des baraques, commencent à y mettre le feu.
Tous ces derniers internés s’évadent le 25 juin 1944 et trouvent refuge dans les fermes voisines jusqu’à la libération du département le 22 août 1944.
Les prisonniers allemands et les « collabos »
Après la libération des Pyrénées-Atlantiques, les résistants prennent le contrôle du camp et y enferment des prisonniers de guerre allemands capturés dans les vallées environnantes.
En 1945, avec un nouveau directeur à sa tête, le camp n’accueille plus que 1585 « petits collabos » originaires du département. Les plus actifs sont enfermés dans des prisons plus sécurisées.
La fermeture du camp de Gurs
Le gouvernement français ferme définitivement le camp le 31 décembre 1945.
Les baraques des internés sont brûlées et les baraques des gardiens sont vendues aux enchères.
Une forêt est plantée par-dessus les vestiges du site.
Après sa fermeture, le camp tombe peu à peu dans l’oubli.
Dès 1963, les villes et le consistoire israélite du pays de Bade restaurent le cimetière du camp mais ce n’est qu’en 1980, que l’association de l’amicale du camp de Gurs ravive son souvenir, notamment grâce aux travaux de l’historien Claude Laharie qui publie sa thèse de doctorat en 1985.
Aujourd’hui, on peut visiter le camp de Gurs, notamment son cimetière qui regroupe 1073 tombes des internés décédés au camp.
Sources :
Site du camp de Gurs : https://www.campgurs.com
Trägerverein des Hauses der Wannsee-Konferenz e. V., Gurs 1940 : https://www.gurs1940.de/fr/#/
LAHARIE, Claude. Le camp de Gurs, 1939-1945 : Un aspect méconnu de l’histoire du Béarn. Biarritz : J&D éditions, 1993.
LAHARIE, Claude. Gurs 1939-1945 : un camp d’internement en Béarn. Morlaàs : Cairn, 2020.
VALLES, Emile. Itinéraire d’internés du camp de Gurs 1939-1945. Morlaàs : Editions Cairn, 2016.
MENOCHET, Jean-Loup.1936-1946, Béarn Pays Basque dans la guerre. Editions Cairn, 2016.