
Le cimetière de la ville d’Elseneur (Helsingør), située à une trentaine de kilomètres au nord de Copenhague au Danemark comporte un monument pour « les tombes des guerriers français » (De franske krigergrave).
Il rend hommage à 40 soldats morts au Danemark à leur retour de captivité en 1918 – 1919.
Que faisaient ces hommes au Danemark, pays neutre pendant la 1ere Guerre Mondiale ?
Pourquoi un tel monument à Elseneur ?
Je vous propose de découvrir un aspect de l’histoire de ces prisonniers de guerre pendant la première Guerre Mondiale.
Le monument
Le monument se compose d’un obélisque entouré de 40 plaques funéraires disposées en cercle.
Cet obélisque comporte deux inscriptions en français.
Sur la face avant : « Ici reposent 40 soldats français morts sur cette terre amie à leur retour de captivité (1918-1919) sans avoir pu revoir leur patrie victorieuse. Le Danemark reconnaissant veille sur leurs tombeaux. »
Sur la face arrière : « Ce monument a été élevé par des amis danois en 1920, l’année où le Danebrog* a flotté de nouveau en Slesvig. »
Le Slesvig (Schleswig en allemand) est la partie méridionale du Jutland, annexée par l’Allemagne lors de la guerre des duchés de 1864. Le Danemark récupère la partie septentrionale du Slesvig en 1920 à la suite du traité de Versailles. En effet, un vote a été organisé auprès de la population du Schleswig-Holstein leur permettant de choisir à quel pays ils souhaitaient être rattaché.
*Danebrog : Drapeau danois
Le Danemark pendant la Première Guerre Mondiale
Un rôle humanitaire
Pendant la Première Guerre mondiale, le Danemark est resté neutre, mais s’est engagé dans des actions humanitaires pendant et après le conflit, notamment en recevant des prisonniers étrangers dans des camps hospitalisés.
Le camp de Horserød
Le camp de Horserød, près d’Elseneur a ainsi été créé par la Croix-Rouge en 1917, tout d’abord pour accueillir des soldats russes malades ou blessés, prisonniers de guerre en Allemagne afin d’y être soignés.
Après les soldats russes, le camp accueille des soldats Français, Belges et Anglais, également prisonniers de guerre en Allemagne.

Qui sont les prisonniers de guerre internés dans les camps danois ?
Au total, le Danemark a vu passer environ 100000 prisonniers de guerre.
Ceux-ci peuvent se diviser en 4 groupes :
- les soldats Allemands ou Anglais internés au Danemark parce que leurs avions ou navires se sont écrasés ou échoués sur le sol danois. (selon le droit international, en tant que pays neutre, le Danemark était tenu d’interner les soldats des pays belligérants séjournant dans le pays pendant plus de 24h.)
- les soldats prisonniers en Allemagne qui se sont échappés et on atteint le Danemark (environ 6000 prisonniers de guerre ont traversé la frontière. Il s’agit surtout de prisonniers Russes qui étaient internés dans le Schleswig.)
- les soldats malades et blessés qui ont été transférés au Danemark pour y être soigné. (les derniers malades ont été évacués en mai 1918.)
- les soldats prisonniers en Allemagne qui ont été évacués des camps à la fin de la guerre et qui sont resté en transit au Danemark.
Après la guerre
L’évacuation des prisonniers de guerre
Après la guerre, le Danemark devient un pays de transit pour les soldats français et anglais internés dans des camps allemands.
Les prisonniers fraichement libérés embarquent pour Copenhague dans des ferries danois ou norvégiens depuis les ports du Nord de l’Allemagne. Ils sont ensuite logés dans des camps militaires avant d’être transférés dans leur pays d’origine.
Certains de ces soldats arrivent très affaiblis. Ils sont soignés dans les alentours de Copenhague, avant d’être envoyés chez eux par train ou par navire.

Les prisonniers de guerre français
Devant l’afflux des prisonniers de guerre dans le port de Copenhague, certains sont envoyés à Elseneur, à une trentaine de kilomètres vers le nord, notamment au camp de Horserød à quelques kilomètres de là.
Le premier groupe de soldats français, composé de 1200 hommes, arrive à Elseneur le 7 décembre 1918.
Les officiers sont hébergés dans l’hôtel Marienlyst alors que les soldats sont envoyés au camp de Horserød.
La grippe espagnole
En 1919, l’épidémie de grippe espagnole bat son plein, favorisée par les mauvaises conditions d’hygiène et la promiscuité dans les camps de prisonniers. De nombreux soldats sont contaminés.
Parmi les Français en transit à Elseneur, trois officiers meurent de la grippe espagnole suivis de 6 soldats.
La plupart de ces prisonniers de guerre français n’ayant pas survécus sont morts en janvier 1919.
L’épidémie n’épargne pas les soignants. Erik Uttenreitter, jeune médecin danois chargé de soigner les prisonniers français contracte à son tour la maladie et décède le 22 janvier 1919. Une plaque sur le mur d’enceinte du monument lui rend hommage.
Les neufs soldats morts à Elseneur sont enterrés dans le cimetière de la ville.
A ces 9 sépultures se sont ajoutées celles de tous les soldats français morts pendant leur séjour au Danemark.

Les 40 soldats dans les archives françaises
Sur les 40 soldats, j’ai pu retrouver la fiche de « Mort pour la France » ainsi que le matricule militaire pour 39 d’entre eux. Il n’y a qu’un seul soldat dont je n’ai pas pu retrouver d’informations, même en utilisant différentes variantes orthographiques sur son nom.
J’ai créé un tableau contenant toutes les informations concernant ces hommes, vous pouvez le consulter et le télécharger ci-dessous.
Les noms inscrits sur le monument sont parfois erronés, je les ai corrigés dans le fichier que j’ai créé (le nom correct est précisé entre parenthèses).
La cause de leur décès est indiquée sur la fiche de Mort pour la France. Pour la majorité d’entre eux, la cause est « maladie contractée en captivité ». Les autres mentionnent « pneumonie », « grippe » ou, plus précisément, « grippe espagnole ».
La fiche renseigne également sur le lieu de décès de chacun.
Au total :
- 20 sont décédés à Copenhague dans divers hôpitaux.
- 6 sont mort sur le navire hôpital appelé « Reval ».
- 9 sont décédés à Elseneur, dont un au camp d’Horserød, sur le territoire de la commune.
- 4 soldats son mort à Hald dans le Jutland.
- 1 soldat est mort dans un lieu non identifié, il s’agit de celui pour lequel je n’ai pas pu trouver d’informations.
D’autres cimetières danois comportent des tombes de soldats français. Notamment à Copenhague, mais aussi à Løgumkloster, dans le Nord-Ouest du Schleswig, en territoire allemand jusqu’en 1920, où un camp détenait principalement des prisonniers belges et russes.
Sources :
- Den franske krigergrav : Cimetière d’Elseneur
- Franske krigergrave i DK : Association « Le souvenir français » au Danemark
- De franske krigergrave : Helsingør Leksikon
- Dossier sur le travail humanitaire au Danemark pendant la première Guerre Mondiale : Museet Mosede Fort